Pourquoi ne pas installer Linux ?
Linux est un programme allouant les ressources matérielles aux programmes, c'est un logiciel particulièrement performant, économe en énergie, stable, et utilisé pour les serveurs (c'est-à-dire dans des environnements particulièrement exigeants en performance, gestion d'énergie, et stabilité – il y a potentiellement des millions d'euros en jeu, c'est ce qu'utilise Google). Vous pouvez l'avoir à la maison ! Reformulons, pourquoi installer une distribution Linux ?
C'est une meilleure expérience utilisataire
Une distribution comme Fedora Linux ou Linux Mint fournit une expérience cohérente, respectivement comparable à macOS et, en mieux, à Windows 7. GNOME fournit une interface cohérente, notamment grâce à Flatpak (un format d'applications mises à jour via le système) et à une collection d'applications suivant les lignes directrices d'interfaces pour humains (HIG) sur circle.gnome.org.
Linux étant (largement) plus sécurisé que Windows, même s'il est évidemment conseillé de faire ses mises à jour le plus tôt possible, on peut les repousser de quelques semaines sans courir un grand risque, à l'inverse de Windows, qui impose les siennes pour ne pas être perçu comme une menace pour l'ensemble de l'internet. À l'exception des mises à jour majeures, qui prennent environ 40 minutes une fois tous les six mois, les mises à jour de routine prennent environ 5 minutes, montre en main. On peut également choisir des distributions dites « stables » pour ne recevoir que les mises à jour de sécurité et donc ne faire qu'une mise à jour toutes les une à deux semaines, au prix d'un certain délai pour recevoir les dernières fonctionnalités…
C'est sans engagement
Ok, la communication de la FSF est une catastrophe, je pense personnellement, avec une expérience syndicale, qu'il est stupide de mettre des jugements moraux dans ses communiqués, campagnes, etc. car nos audiences font, par définition, partie de notre camp social et ont leur propre sens moral. L'intelligence ne consiste pas plus à dire que la constante de gravitation universelle (G) vaudrait 42 qu'à relativiser le droit à l'avortement (formes d'intelligence communautaire individuelle, « morale », et collective, « éthique »). Tout travail de communication politique consiste à fournir à nos audiences des informations pouvant leur manquer pour faire certains choix, mais en aucun cas à leur dire que faire de ces informations.
C'est important car on peut trouver nombre de libristes considérant qu'installer Linux serait un engagement, un « mariage », ou une traversée du désert, et de manière plus générale les libristes sont souvent complètement hors-sol, du point de vue des logiciels libres en tant que lutte sociale. En réalité, vous pouvez sauvegarder vos fichiers très facilement grâce à Syncthing, puis installer Linux pendant quelques semaines, pour voir si vous pouvez vous débrouiller sans les programmes propriétaires exclusifs à Windows et si votre ordinateur a une bonne compatibilité1, et revenir à Windows le cas échéant. Je considère que pouvoir utiliser des programmes propriétaires fait partie des libertés des utilisataires de logiciels et donc des valeurs des logiciels libres (mais la FSF ne sera pas d'accord, confondant des positions claires et la liberté de ne pas utiliser de logiciels propriétaires, sur Guix par exemple, avec une radicalité défaitiste et hors-sol2).
La vision de l'installation d'une distribution comme une sorte d'engagement irréversible (alors qu'on peut revenir à Windows n'importe quand) est sans doute la première raison pour laquelle on ne parle pas de Linux au Biocoop ou même en repas de famille, entre un intérêt pour le régime alimentaire de la cousine végane (« et donc, tu remplaces les œufs par des pommes ? ») et les analyses de mamie. C'est sans doute dû à l'idée qu'il serait compliqué de sauvegarder ses fichiers alors que Syncthing permet de le faire sur son propre matériel, sur le réseau wifi local, sans fil, et de manière automatique (il suffit de lancer le programme sur les appareils à synchroniser alors qu'ils sont connectés au même réseau wifi). De la sorte, il m'arrive de vérifier que mes fichiers sont bien synchronisés avant d'installer Guix ou OpenBSD pour tester, ou même en fonction de mes besoins de sécurité (par exemple, pour moi il est hors de question de garder des enregistrements d'entretiens sous Windows, c'est même illégal). Puis il me suffira de re-synchroniser mes appareils et de récupérer mes sauvegardes pour relancer la synchronisation.
C'est moins cher et plus écolo
Le modèle économique de Microsoft est de vendre des logiciels, qui plus est tout à fait médiocres et à travers des politiques de concurrence déloyale. Microsoft a deux modèles de licences pour Windows, soit les constructeurs d'ordinateurs signent un contrat d'exclusivité pour Windows et vendent des licences OEM pour environ 15€/licence (ce qui est illégal), soit ils ne le signent pas, peuvent vendre des ordinateurs sous Linux, et paient environ 150€/licence3. En d'autres termes, Microsoft touche de l'argent sur chaque vente d'ordinateur sous Windows, ce qui explique par exemple l'imposition de processeurs récents, avec TPM 1.2, pour Windows 10, qui a généré, de mémoire, 12 millions de tonnes de gaz à effet de serre.
Forcer à acheter de nouveaux ordinateurs, c'est aussi forcer à payer pour des terres rares, et donc à financer des seigneurs de guerre et donc des enfants soldats, mais aussi épuiser les ressources dont on a besoin pour l'infrastructure de l'internet. Pour la plupart des gens, l'internet n'a pas plus de valeur que les contenus qu'iels consomment sur Instagram, mais c'est avant tout une technologie aussi révolutionnaire que l'imprimerie le fut à son époque, et comme l'imprimerie il permettra une révolution politique, cette fois-ci non-violente, en catalysant et favorisant le passage à une économie coopérative, où les travailleur·euses co-dirigeront leurs entreprises. Ce n'est rien de moins que le dépassement dialectique des relations patronat-travail appelé de ses vœux par Marx, sans armée, sans violence. Ce basculement, soutenu par un rapport du Sénat français, impliquera un sérieux coup porté au racisme systémique, au patriarcat, au validisme, etc. : on sera toujours confronté·es à des rapports entre groupes établis et étrangers, mais les gens veulent intégrer ces derniers et y ont tout intérêt, par exemple dans le premier chapitre de « Chronique des Indiens guayaki » (Clastres, 1972), l'auteur rend compte d'une alliance entre deux groupes d'Indiens, à travers un mariage. Les gens veulent s'associer.
Bref, installer Linux est une démarche de décroissance parmi d'autres, avec éventuellement un abonnement à Enercoop, l'agriculture biologique, les coopératives, la construction d'alternatives aux ISC, les fripes, le vélotaff, etc.
Les systèmes d'exploitation propriétaires deviennent également, de plus en plus ouvertement, des systèmes de surveillance de leurs utilisataires, à l'inverse il n'y a rien de tel dans Fedora ou Linux Mint, on a le code source et on peut « facilement » vérifier que les systèmes d'exploitation que l'on télécharge y correspondent par la reproductibilité des processus de compilation. À titre de comparaison, mettre un appareil Linux sous écoute représente donc une faille de sécurité d'un type rare et rapidement corrigé, à plusieurs millions d'euros, tandis que mettre un appareil Windows représente une requête auprès de la cour FISA, pour quelques (dizaines de) milliers d'euros ; des États comme la France en font plusieurs milliers par an. (Des failles de sécurité permettant une escalade de privilèges racine à distance sont rarissimes, il y en a environ une par décennie, elles font partie de la culture locale, elles ont des petits noms.) Utiliser Linux permet aussi d'être à peu près sûr·e que l'on peut consommer les médias que l'on souhaite sans être surveillé·e, par exemple via le navigateur Tor ; il est tellement compliqué de faire surveiller un système d'exploitation libre que la directive ChatControl (avant tout une affaire de corruption) exclut les projets libres et non-commerciaux de l'obligation d'implémenter leurs algorithmes. Linux est partout, sans exception, et sans Linux, pas d'économie numérique.
Installer Linux est également une question de santé publique, notamment car le fondateur de Microsoft est un chic type ayant utilisé sa fondation pour garder les remèdes contre le Sida, puis contre le Covid, brevetés, ce qui en a privé de nombreux États en voie de développement. (Évidemment, les médias bourgeois n'ont pas parlé du fait que Cuba avait développé cinq vaccins libres de droits contre le Covid.)
Pour les relations familiales
Linux fournit un environnement numérique sûr, en particulier concernant des jeunes cherchant un échappatoire dans l'informatique. De toute façon, si ce n'est pas l'informatique, ce sera les jeux vidéo, la drogue, l'alcool, ou les jeux d'argent ; parfois même, certains jeux vidéo (comme Wakfu les Gardiens, en lien avec le dessin animé diffusé sur Salut les Zouzous !) intègrent des jeux d'argent dans une devise fictive, pour récupérer des loots, donc de toute façon les parents doivent faire attention aux usages numériques de leurs enfants. Autant les libristes sont souvent hors-sol et racontent n'importe quoi sur les luttes sociales, autant le fait de privilégier F-Droid sur mon téléphone m'a évité de devoir gérer ce sentiment de danger auto-entretenu que l'on peut avoir dans les grandes surfaces, entre les rayons pâtisserie flanquant les fruits et légumes et les diffuseurs d'odeurs, soit autant d'incitations à consommer, justement en consommant, ce qui nous fait évidemment entrer dans un cercle vicieux – il en va de même concernant les marchés d'applications. Tout n'y est pas parfait, on y retrouve ProtonMail et ProtonVPN, mais les utilisataires y sont largement moins marchandisé·es que sur le Play Store ; de même, un·e adolescent·e utilisant Fedora sera plus facilement amené·e à discuter via des affordances plutôt saines, comme IRC ou XMPP, que via Twitter4, par exemple j'ai créé le mien à travers une « intégration » dans iOS 5… qui n'a jamais apporté la moindre fonctionnalité. Si des parents peuvent éviter à leurs enfants de tomber dans une idéologie hors-sol de boycott et de refus du « compromis » – qui n'est qu'une forme de compromission des objectifs politiques des libristes –, alors installer Linux peut être l'occasion de discussions apaisées, fondées dans le monde réel, autour des usages des ordinateurs ; les jeunes ayant de toute façon un pied dans le numérique, ça fournira des sujets de discussion et ça sera l'occasion de montrer son intérêt pour ce qui leur importe, tout en leur évitant de tomber dans des institutions totales (Goffman, 1961), c'est-à-dire d'assouvir leur besoin d'échappatoire dans des communautés isolant culturellement leurs membres de notre société différenciée.
Conclusion
Linux représente aujourd'hui une meilleure expérience utilisataire que Windows et comparable à celle de macOS, de manière plus soutenable, dans une démarche de décroissance et de défense de principes aussi fondamentaux que la liberté d'expression et le droit aux correspondances privées. C'est un processus totalement réversible : en fonction des logiciels dont on peut avoir besoin, on peut décider en famille de tester Linux pendant quelques temps, en réalisant des sauvegardes via Syncthing, en sachant que l'on peut revenir à Windows en fonction de nos besoins. Cela peut donner à nos adolescent·es le sentiment d'être écouté·es tout en permettant de discuter des usages numériques, sur des bases saines.
Références
Clastres P., 1972, Chronique des indiens guayaki: ce que savent les aché, chasseurs nomades du paraguay, Paris, Plon (Terre humaine). Goffman E., 1961, Asiles. étude sur la condition sociale des malades mentaux, Éditions de Minuit (Le sens commun), 452 p.
1 Je veux bien évidemment parler de nVidia, leurs cartes graphiques créent des glitches visuels. Si vous avez besoin d'une carte graphique sous Linux, prenez une carte AMD. 2 La FSF n'est pas responsable de la moitié du problème. L'environnement médiatique dans lequel les libristes s'informent et communiquent, les institutions « socio-capitalistes », en font largement partie. 3 Je ne suis pas sûre des chiffres exacts, mais on m'a dit que c'était dans cet ordre de grandeur. 4 J'ai déjà mis ce lien concernant ProtonMail/ProtonVPN, c'est normal, une arnaque sur le long terme, via une institution, semble fatalement être en réalité de la maltraitance.
C'est le 11ème billet du défi #100DaysToOffload. 100DaysToOffload.com
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