Comment soutenir une personne malade ?
TW : défenestration
En rentrant de chez ma mère dimanche dernier, j'entends un cri éraillé, à pleins poumons, une mère qui « sort » (ça vient du ventre, c'est irréfléchi) « Mais qu'est-ce que tu as fait ? ». Je vois une jeune fille tituber, tenter de se relever, soutenue par des passant·es, et s'asseoir contre un mur. La mère explique, sans réfléchir, c'est son corps qui s'exprime, qu'elle ne voulait pas que sa fille sorte dans cet état. Donc elle a sauté par la fenêtre. Ça m'a ramené à ce fait simple, qui me hante depuis mes 15 ans : on ne peut pas empêcher une personne malade de se faire du mal. On peut la soutenir dans sa lutte contre la maladie, on peut être présent·e pour elle, on peut la conseiller, mais on ne peut pas l'empêcher physiquement de se faire du mal. Ça ne résout jamais le problème.
Je ne sais pas exactement comment empêcher ce genre de comportements, mais c'est ce qu'on appelle la pair-aidance. Par exemple, le Vinatier a un dispositif pour les proches de personnes malades, le Clap. En revanche, je sais que la pulsion peut monter graduellement pendant plusieurs jours et qu'un proche non-formé peut s'en rendre compte trop tard. Je l'ai vécu en tant que personne malade, et je l'ai fait en tant que proche : la culpabilisation, la dramatisation, prendre le matériel dont la personne a besoin, etc. augmentent l'intensité des prochaines crises, le désir d'assouvir son addiction ou sa pulsion (parfois d'autodestruction). Renseignez-vous sur la pair-aidance si vous voulez soutenir un proche malade face à ces crises. Mais il est impossible et contre-productif d'empêcher physiquement une personne malade de se faire du mal.
Souvent on est un peu terrorisé·e par ce comportement irrationnel, ce désir de s'autodétruire, et on le traite comme une décision, on tente d'aider la personne malade à prendre la « bonne décision » ou de l'empêcher de prendre la « mauvaise ». Mais c'est justement une pulsion irrationnelle, une maladie mentale : elle sait que ce qu'elle va faire est mal, et elle lutte contre, de son mieux… Ce n'est généralement pas une décision. Cela peut en passer par d'autres, qui peuvent être raisonnées, ces personnes peuvent et souhaitent alors être conseillées, mais cela implique une écoute attentive, régulière, soutenue, sur le long terme (Illouz, 2006) ; de l'empathie ; il arrive aussi que se faire du mal, s'autodétruire n'en passe par aucune. C'est au cas par cas : des fois c'est possible, des fois ça ne l'est pas. La tendance inverse est de traiter chaque « crise » comme une série ou comme le résultat de mauvaises décisions, ce qui est bien évidemment faux, cela ne conduira qu'à la maltraitance de la personne malade. C'est pour ça que je préfère adopter une posture d'observatrice, au lieu de chercher absolument à faire quelque chose et à empêcher la personne de se faire du mal. Il vaut mieux alors dédramatiser, prendre soin de la personne malade, par exemple la mettre dans un plaid et lui proposer de regarder une série ; bref, la rassurer comme on rassurerait à peu près n'importe quelle personne ayant vécu une situation traumatisante et pouvant par-dessus le marché se sentir coupable.
Références
Illouz E., 2006, Les sentiments du capitalisme, Paris, Seuil.
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