Azkaban, les thérapies de conversion, et le torture porn

Quand j'étais petite, j'admets avoir trouvé le concept d'Azkaban séduisant : privés de leurs pouvoirs, les sorciers les plus infâmes et les plus dangereux étaient retenus prisonniers par la solide prison d'Azkaban, torturés (de manière totalement fictive) par les détraqueurs, qui les plongeaient dans le désespoir et les rendaient fous, neutralisant leur volonté/capacité mentale même de se rebeller. Si ce modèle vous évoque les prisons supermax de l'Organisation des États-Unis (OÉU, l'organisation terroriste et militaire occupant les territoires des Premières Nations), ou les quartiers d'isolement des prisons/CRA français, c'est sans doute car ces modèles sont conçus pour satisfaire les mêmes fantasmes, mais pour les mêmes raisons je voudrais surtout parler ici des thérapies de conversion. Comme les détraqueurs, les thérapies de conversion et la transphobie font plonger dans la dépression, et rendent psychotique. Comme les détraqueurs, on y retrouve une idée de justice immanente, « organique », inscrite dans la chair des individus, littéralement en ce qui concerne les tatouages de Sirius Black, le parrain de Harry Potter. Enfin, rappelons que les détraqueurs peuvent enlever leurs cagoules et aspirer les âmes de leurs victimes par une bouche dépourvue de dents, sur ordre du Ministère de la magie, c'est-à-dire en tant que bourreaux surnaturels, sous la forme d'une destruction non de la chair de l'individu mais de son « essence », et sans passer par un juge : c'est le « baiser du détraqueur ». Les propos et actes de Rowling sur les 5 dernières années montrent que ce n'était pas une crainte, c'était, là aussi, un fantasme.

On y retrouve une idée de renversement normatif total : je suis persuadée qu'un prédateur que j'ai hébergé me faisait du mal notamment car il avait besoin d'attention, et car la seule manière de surmonter sa honte et sa vulnérabilité de ce point de vue était de me manipuler et de me faire du mal, volontairement. Il y avait sans doute un aspect jubilatoire et libérateur, vis-à-vis des conditionnements sociaux qui l'amenaient à cette honte d'exprimer des besoins, somme toute, tout à fait normaux. De même, je crois que le torture porn pourrait être un renversement normatif total : il est absolument immonde et infâme de torturer des personnes mineures car elles sont LGBTQIA+, de les plonger dans la dépression, de les forcer à rester dans le placard et à vivre une vie malheureuse, misérable. Mais par la contention totale de nos adelphes, en s'appuyant sans doute sur le caractère essentialisant de l'assignation nominale, par la (quasi-)toute-puissance parentale, qui va jusqu'à la maltraitance d'État, des fascistes et des Terfs comme Rowling voient dans ces actes de maltraitance médicale la prolongation du fantasme d'Azkaban, comme des êtres humains préhistoriques enterraient eux-mêmes des êtres humains vivants.

Peut-être ces noires cérémonies ont-elles en commun avec Azkaban et le torture porn la maltraitance totale d'individus ou de groupes d'individus, ce qui symboliserait un renversement du réseau de maltraitance de classe pesant sur tout groupe social vivant avec des ressources médiocres : ces fascistes se sentiraient alors contrôler, organiser, distribuer cette maltraitance nominale et essentialisante d'État.


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