Océane

Un blog sur le rétablissement.

J'ai bien aimé le film Barbie, tout comme j'adore les films du Seigneur des Anneaux, les livres Dune, et plein d'autres œuvres dont certains aspects sont particulièrement problématiques. De nombreuses personnes ont critiqué ces œuvres, souvent à juste titre lorsqu'il ne s'agit pas de les détruire mais au contraire de les apprécier artistiquement, cinématographiquement, littérairement, sans accepter par exemple le trope du white savior de Dune – un noble venu d'une planète au climat tempéré, venu sauver des indigènes aux mœurs nobles quoique rudes, voire sauvages, vivant sur une planète désertique, dangereuse et impitoyable, dans le double objectif, inconfortablement contradictoire, de monter une armée (en profitant des conditions de vie inhospitalières) et de tenir sa promesse de créer un climat tempéré (mais seulement sur une partie d'Arrakis). Nuancer ces œuvres (comme d'ailleurs en ce qui concerne les travaux scientifiques) peut avoir pour intérêt de les rendre culturellement plus légitimes et donc d'asseoir leurs positions, et concernant des œuvres de fiction, de permettre à des minorités de pouvoir de rejoindre leurs fanbases sans en laisser les populations les mieux représentées en distinguer les membres (et donc les démographies) les plus légitimes : tout le monde a le droit d'apprécier Le Seigneur des Anneaux et Dune, tout le monde a le droit de pouvoir s'y exprimer, et d'y être créatif·ve et soi-même. Je souhaite donc traiter de son message politique particulièrement problématique car je suis en désaccord avec les commentaires dithyrambiques que j'ai vus passer çà et là à son sujet. Bombe artistique et esthétique, indéniablement, mais féministe et émancipateur ?

Attention, le texte ci-dessous contient des spoilers !

Le film commence par une sorte d'infomercial confondant adroitement le récit-cadre et notre réalité, avant de se défausser en évoquant le monde des Barbie, Barbieland : comme Barbie peut être tout ce que les petites filles veulent, et que « Barbie est tout le monde et [que] tout le monde est Barbie », alors cette capacité d'imagination se transforme en une sorte d'empowerment libéral. Le film est composé d'une situation initiale (arc narratif de Barbie), d'un premier élément perturbateur (elle doit retrouver la petite fille qui joue avec elle pour redevenir normale, avec des pieds de Barbie, sans cellulite, etc.), amenant un second élément perturbateur (un coup de téléphone du FBI dans les bureaux de Mattel, les informant qu'une Barbie est arrivée dans le monde réel, et qu'ils doivent la faire rentrer à Barbieland), et donc de nouvelles péripéties, dans ce que l'on peut appeler l'arc narratif du PDG de Mattel. Barbie a ensuite une sorte de vision où elle voit une petite fille et son école, s'y rend avec Ken, puis est capturée par Mattel (« Oh là là, des hommes, ils vont m'aider ! ») tandis que Ken découvre le patriarcat et… se barre (arc narratif de Ken). Ces deux arcs narratifs se mélangent, ce qui rend le film assez confus, et ce n'est pas grave, son intérêt est surtout visuel. Or, au début du film, les poupées Barbie vivent comme des jouets : elles ne descendent pas les escaliers, ne traversent pas les portes, etc. Barbie est ainsi descendue de sa maison à sa voiture par une main invisible de petite fille, et c'est même l'un des signes les plus marquants de l'élément perturbateur : elle tombe de sa maison, et elle apprendra plus tard être détraquée. Ce principe disparaît dans l'arc narratif de Ken, après leur retour du monde réel. Le message initial est donc que les poupées Barbie représenteraient l'imagination et les rêves des petites filles, tandis que Ken serait une sorte de coquille vide, on ne sait pas s'il représente le rapport des petites filles aux garçons, l'imagination et les rêves des petits garçons, et on ne le saura sans doute jamais, soit pour ne pas briser l'aspect dynamique de cet arc, soit car la métaphore filée devenait intenable. On voit quelques morphologies différentes, par exemple la Présidente est noire, on voit une Barbie grosse, ainsi qu'une Barbie handicapée, en fauteuil (c'est tout ce qu'elle est, je ne crois même pas qu'elle ait prononcé un mot dans le film, elle disparaît après le premier élément perturbateur). La diversité semble ainsi être réduite à des cautions (noire, grosse, handicapée, etc.), tandis qu'à la Barbie superficielle et stéréotypée semble simplement avoir succédé un Ken superficiel et stéréotypé : il suffit d'inverser les prénoms et les pronoms dans « Elle sait tout faire. Lui, c'est juste Ken » pour obtenir « Il sait tout faire. Elle, c'est juste Barbie », et donc voir un film d'une misogynie crasse. Ken a besoin du regard de Barbie pour être heureux, et ne peut pas exister sans elle, tout comme une blonde filiforme et superficielle des années 70 aurait besoin, dans certains esprits de l'époque, du regard de son conjoint pour être heureuse et pour se sentir exister.

Le film oppose explicitement le patriarcat du monde réel au matriarcat « idéal » de Barbieland, représentant, si l'on suit la métaphore effilochée, deux types de rêves chez les petites filles : devenir Présidente, astronaute, ou prix Nobel, mais aussi gouverner à la place des hommes. (On touche aux limites de ce billet car les institutions « socio-capitalistes », de marchandisation de notre temps, de notre bien-être, et de nos affects, comme Instagram, peuvent amener à approuver un tel programme en confondant des blagues en milieu militant avec la réalité, mais peu importe.) Cette inversion quasiment point par point entre patriarcat et matriarcat, blonde superficielle et blond stéréotypé, semble servir de prétexte pour introduire un mépris de classe presque assumé à l'égard des classes populaires, à commencer par la première scène hors de Barbieland, où Barbie est confrontée au sexisme en la présence d'ouvriers sur un chantier à proximité de la plage de Los Angeles. D'autres femmes auront un comportement rude à son égard, mais auront un arc de rédemption ; ces hommes, pas tout à fait humains, sans personnalité et interchangeables, dont la crasse et le balayage suggèrent par ailleurs une peau basanée, ne sont que des figurants et disparaîtront de la narration dès la scène suivante. Au patriarcat du monde réel s'opposant le matriarcat du monde idéal de Barbieland, et « c'est de la domination féminine » étant le plus souvent un argument d'homme cisgenre paumé par rapport à nos questions, dès qu'une femme s'affirme, par exemple, professionnellement, ce film est, à leur intention, un message assez épouvantable. Ignorer consciemment et politiquement, voire dénigrer les avis des hommes est plutôt une position de « radfems », qui peut être maltraitante ; les féministes ont évidemment besoin de non-mixité pour émanciper leurs luttes de la tutelle masculine, mais on se rend compte aujourd'hui que les fascistes sont en train de recruter ces hommes, parce que la gauche ne dispose pas d'un discours articulé et suffisamment audible à leur égard. Évidemment, Ken est refoulé aux métiers qualifiés, car il n'a pas de master ni de doctorat, et évidemment, de retour à Barbieland où il met en place le patriarcat, il a ces sortes de monster trucks hauts de 2m20, que l'on retrouve chez certains pieds noirs américains. Surtout, la scène que je pense devoir analyser est celle où Barbie sonne chez elle (Ken a envahi et transformé son logement) et où il part chercher un livre dans un bruit de fracas, pour recevoir Barbie en faisant semblant de lire. Rappelons grossièrement que selon Bourdieu, l'argent libère du temps libre, et le temps libre permet de développer le goût de la lecture (Bourdieu, 1979). Si Ken n'a pas le goût de la lecture (mais fait semblant de lire), c'est car il est pauvre – c'est pour cette raison que je mets des références bibliographiques dans mes billets de blog, pour normaliser la lecture de livres et d'articles scientifiques, que mes lectaires sachent au moins ce que je lis et comment je m'en sers. Cette scène – l'entrée de Barbie dans sa maison – amalgame ainsi le concept fumeux, que l'on doit aux « radfems » de Twitter, c'est-à-dire à des « féministes » auto-proclamées, réactionnaires, et objectivement proches de l'extrême-droite1, de « médiocrité masculine » au rapport que les pauvres entretiennent à la lecture.

On voit ainsi que les tentatives d'inverser des oppressions systémiques sont vouées à l'échec, toute promotion d'un « sexisme inversé » ne faisant en réalité que « ruisseler » sur les aspects « minoritaires » des hommes, handicap, racialisation, questionnements sur leurs identités de genre, statut légal de personne « mineure », pauvreté, santé mentale, etc. On assiste donc à un renversement insidieux et, ce faisant, à un fractionnement des luttes pour le progrès social, la légitimité (au nom d'un « féminisme » « radfem ») des femmes pour diriger les hommes se superposant à celle de la « classe supérieure » (sic) universitaire, blanche2, diplômée, par rapport aux classes populaires, et le matriarcat des poupées Barbie, à une aristocratie, voire à une oligarchie3 tout ce qu'il y a de plus classique. Afin de ne pas verser dans des théories du complot, le rasoir de Hanlon nous commande de ne pas voir de malveillance dans les phénomènes que la stupidité suffit à expliquer. L'infomercial du début du film montre pourtant un contrôle étroit du film par le groupe Mattel (dont le chiffre d'affaires net en 2009 est de près de deux milliards de « dollars ») notamment afin de transmettre un message (sans l'assumer, c'est le principe du marketing). On peut donc envisager sans prendre trop de risques que ce message du groupe Mattel, fricotant avec la propagande des « radfems » et donc notamment des « Terfs », qui fricotent elles-mêmes avec des fascistes, et donc avec les oligarchies occidentales – la boucle est bouclée –, ferait l'objet d'autant de travail et d'efforts que la mise en scène, les lumières, la scénographie impeccables du film.

Les raisons d'aller voir, ou pas, ce film sont donc à peu près les mêmes que celles de jouer avec une poupée Barbie : malgré son message nauséabond, c'est une réussite artistique totale. À titre personnel, j'ai trouvé la scène du battle final entre les deux Ken presque jouissive, le travail sur les lumières, la chorégraphie, la musique, impeccablement interprété par les danseurs, étant alors poussé dans ses retranchements ; cette réalisation plastique mérite d'être vue au cinéma. Mais je suis surprise par une tendance, notamment sur Instagram, à une interprétation unique du message politique du film, je pensais donc nécessaire d'y apporter un peu de diversité. En ce qui me concerne, et de par mes études, la scène de Ken cherchant un livre pour faire semblant de lire, attitude typiquement populaire et notamment chez des étudiants en difficulté, a été un red flag.

Références

Bourdieu P., 1979, « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en sciences sociales, 30, 1, p. 3‑6.

1 Souvent à leurs corps défendants. Je l'ai écrit ailleurs, mais je rappelle que Twitter maltraite les pauvres, c'est son modèle économique, et c'est lié à son identité, au produit éponyme et le plus rentable de Twitter, Inc. Tout le monde a remarqué qu'Elon Musk favorisait et payait les utilisataires fascistes, parfois à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de « dollars », mais la situation, bien qu'alors plus subtile, et marquée par une incompréhension, d'un côté comme de l'autre, entre les cadres (dont les journalistes) et à peu près le reste de la population, de politiques de promotion du fascisme ne sont pas nouvelles, elles sont objectivement associées à l'identité du produit. 2 Peut-on parler du fait que les seules personnes hispaniques à Barbieland viennent du monde réel et y sont donc, notamment du point de vue de la gouvernance, des étrangères ? 3 Rappelons le prix des études et des universités sur le territoire administré par l'Organisation des États-Unis ($40,000/an pour le MIT), les admissions des enfants de diplômé·es en tant que « legacy admissions », ainsi que leur rôle dans la reproduction économique des classes sociales ?

#Barbie #Bourdieu @france@jlai.lu


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Qobuz est un site de vente de musique en ligne proposant un format Flac 24 bits pour un prix environ supérieur de 30 % du format CD. Par exemple, « The Dark Side of the Moon » (édition remasterisée du 50ème anniversaire) coûte environ 15 % plus cher en Flac « Hi-Res 96 KHz » et 50 % plus cher en « Hi-Res 192 KHz ». Leur communication tourne autour de ce format, par exemple « Le vrai au prix du faux ! » pour une offre promotionnelle de Flac 24 bits au prix du Flac 16 bits, ainsi que d'une fausse image de luxe, je pense notamment à une promotion des enceintes Devialet (qui ne sont que des sonos à plusieurs milliers d'euros, dans un caisson blanc épuré). Fait notable, ce site « pour audiophiles exigeants » ne propose pas le format OGG, qui est pourtant le format recommandé par les audiophiles, et pour cause : alors que le format Flac, sans perte de données, est environ 10 fois plus lourd que le format MP3, le format OGG, plus moderne et sous licence libre, est plus léger et la différence avec un format sans perte de données est inaudible. Comme l'a fait remarquer Jor, le format Flac est inutile si l'on ne veut pas transformer soi-même le son ; par ailleurs, comme l'a fait remarquer Dashie, les fabriquants de matériel audio ne prennent généralement pas en charge le codec Flac par Bluetooth et le convertissent au format MP3, tandis, me semble-t-il, que le format OGG est transmis tel quel, et donc que la qualité audio sera objectivement supérieure avec du Bluetooth (la différence étant inaudible avec des technologies propriétaires comme AirPlay, compatible avec le format AAC).

Évidemment, si Qobuz proposait le format OGG, on se rendrait compte que son format « Flac 24 bits » ne vaut pas une marge très confortable, réalisée, le plus souvent, sur le dos des artistes. C'est pour cette raison que j'achète la plupart de ma musique sur Bandcamp, et pour des raisons connexes (le soutien aux artistes, la découverte organique de musiques indépendantes, sincères, et souvent bonnes) que j'écoute ma musique en streaming sur Resonate.


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Je suis un peu en retard sur mon rythme de publication, désolée ! Je continue d'écrire quand j'en ai le temps.

J'ai plusieurs soucis avec Matrix, je parlerai d'abord des fausses promesses de décentralisation et de chiffrement (au niveau de la norme), puis de l'impact de leur client, Element, sur nos communications.

Premièrement, on me dit que Matrix est décentralisé, je crois que relativement à Matrix.org ce protocole est à peu près aussi décentralisé que les emails relativement à Gmail. Ensuite, le chiffrement a plusieurs problèmes :

  1. Il est impossible de signaler un message dans un salon chiffré. Le message étant chiffré, il est censé être inaccessible, mais c'est un faux paradoxe puisqu'il est possible de prouver l'authenticité d'un message (en le signant). Il serait donc tout à fait possible de concevoir un algorithme chiffrant et signant les messages, comme le DIME) permet théoriquement de le faire, permettant ainsi de transférer un message signé à la modération du serveur, au cas-par-cas. En bref, cela veut dire qu'il faut choisir entre le chiffrement de bout-en-bout (une préoccupation importante pour les utilisataires de logiciels libres) et le signalement des messages (une préoccupation importante pour les minorités de pouvoir). Symboliquement on doit choisir entre les enjeux des libristes et ceux des minorités de pouvoir, féministes, personnes racisées, mineures, handicapées, etc., comme si ces deux catégories étaient mutuellement exclusives.
  2. Il est possible d'importer l'ensemble des messages d'un compte Matrix sur un appareil que l'on contrôle, irrévocablement, avec le mot de passe du compte et celui du téléphone de sa victime. Il suffit de s'authentifier sur un appareil que l'on contrôle, puis de vérifier sa session depuis un appareil légitime, pour importer l'ensemble des messages chiffrés. Peu importe que théoriquement ou dans le monde de Mon Petit Poney un mot de passe et un appareil vérifié représentent une forme d'authentification multi-facteurs : dans le monde réel, un prédateur domestique ou un officier de police judiciaire y ont à peu près forcément accès : vous pouvez être poursuivi·e pour refuser de transmettre vos identifiants à la police, dans le cadre d'un abus de lois antiterrorisme et d'une répression assumée, par les juges, comme politique. De même, si vous êtes sous emprise, par définition vous n'exercez pas toutes vos facultés de jugement, et vous pouvez lui transmettre votre mot de passe de téléphone pour une raison quelconque ; de manière générale, nos colocataires/conjoint·es ont des chances raisonnables de connaître notre mot de passe de téléphone, et la plupart des gens n'utilisent pas de gestionnaires de mots de passe, et ce n'est pas bien, mais ça veut dire qu'en général ces personnes ont 2 ou 3 mots de passe différents et qu'un prédateur peut très bien connaître ou déduire celui du compte Matrix. En bref, dans le monde réel, cette « authentification à deux facteurs » est extrêmement faible, et permettant de télécharger l'ensemble des messages, notamment chiffrés de bout-en-bout, de sa victime, potentiellement à son insu, cette faiblesse est très dangereuse.
  3. Les messages sur Matrix n'ont pas rotation des paires de clés via un système de double cliquet. Cette rotation permet d'empêcher un intrus pouvant, par exemple, casser la clé de chiffrement par force brute, d'accéder à l'ensemble des messages, c'est ce que l'on appelle le PFS (« Perfect Forward Secrecy »). Le principe de chiffrement à double cliquet, un standard présent notamment dans OMEMO, Signal, et Cwtch), permet de changer de clé de chiffrement dès que l'on répond à un·e correspondant·e (c'est-à-dire à chaque aller-retour Alice → Bob → Alice). Avec de telles propriétés, un modèle de menace pouvant casser une clé de chiffrement par force brute (comme un serveur Matrix) ne pourrait accéder qu'à quelques messages.
  4. La plupart des comptes Matrix étant hébergés sur un serveur appartenant à New Vector, l'entreprise (à but lucratif) qui pilote la Fondation Matrix et qui en développe le client principal, on peut raisonnable considérer qu'elle dispose des clés de chiffrement pour 99 % des conversations sur la norme Matrix, et donc qu'elle peut casser par force brute une clé de sécurité pour accéder à l'ensemble des messages échangés dans un salon.

Au fait, New Vector a été présent à un salon européen dédié à la police. Il ne s'agit pas de verser dans des théories du complot alors que leurs éventuelles conférences (je n'ai pas suivi cette affaire) sont sans doute enregistrées et accessibles au grand public, mais je ne vois pas de raison particulière de leur faire confiance.

Parlons maintenant de la manière dont le client Element impacte notre communication. Matrix optimise pour l'engagement de deux manières : premièrement car cet écosystème « ouvert » est fort de 4000 MSC, tandis que XMPP, par comparaison, n'en a que 500, ce qui rend le développement de clients particulièrement complexe – à ma connaissance, seul Element en implémente toutes les fonctionnalités.

Ensuite car après une levée de fonds de 20 millions d'euros en capital-risque, New Vector a mis sur pied l'équipe « delight », qui a pour tâche, grosso modo, de récompenser les interactions avec l'interface utilisataire. Ces récompenses fournissant de la dopamine, elles sont perçues comme une forme de solidarité, et l'oubli du caractère individuel de chaque récompense dans une longue expérience de récompense donne un sentiment de solidarité inconditionnelle, et donc de sacré1. Émettre des jugements moraux permet justement d'« optimiser » cette illusion. Mais cette optimisation pour l'engagement a aussi évidemment pour conséquence d'imposer à leurs utilisataires les besoins de leurs investissaires et donc de les empêcher de répondre aux leurs ou à ceux de leur entourage, ce qui peut évidemment créer des tensions, donner lieu à des situations de maltraitance (notamment chez des personnes mineures), en tout cas à des addictions comportementales, etc.

On retrouve donc dans la plupart des salons Matrix cette manière violente et non-assumée d'impliquer que les messages de nos correspondant·es seraient malvenus, parce qu'ils nous incitent à rechercher ces récompenses et donc cette illusion de sacralité, au lieu de nous concentrer sur la construction de notre vie, par exemple sur des tâches domestiques, ou sur le fait de caresser son chat, afin d'avoir théoriquement accès à la solidarité sur laquelle est fondée notre société. L'aboutissement logique de l'optimisation pour l'engagement est la désaffiliation.

1 Je ne veux pas réduire le sacré à la solidarité, il y a plein d'autres éléments qui me semblent importants, mais dans le cadre qui nous intéresse ici, c'en est la propriété la plus pertinente.

C'est le 12ème billet du défi #100DaysToOffload. 100DaysToOffload.com


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Linux est un programme allouant les ressources matérielles aux programmes, c'est un logiciel particulièrement performant, économe en énergie, stable, et utilisé pour les serveurs (c'est-à-dire dans des environnements particulièrement exigeants en performance, gestion d'énergie, et stabilité – il y a potentiellement des millions d'euros en jeu, c'est ce qu'utilise Google). Vous pouvez l'avoir à la maison ! Reformulons, pourquoi installer une distribution Linux ?

C'est une meilleure expérience utilisataire

Une distribution comme Fedora Linux ou Linux Mint fournit une expérience cohérente, respectivement comparable à macOS et, en mieux, à Windows 7. GNOME fournit une interface cohérente, notamment grâce à Flatpak (un format d'applications mises à jour via le système) et à une collection d'applications suivant les lignes directrices d'interfaces pour humains (HIG) sur circle.gnome.org.

Une capture d'écran du site GNOME Circle. On peut voir, sur fond vert, le logo GNOME Circle en haut à gauche, et au centre, deux mains autour d'une jeune pousse sur un petit tas de terre, sur un halo de cercles concentriques s'éclaircissant vers le centre.

Une capture d'écran de mon bureau. On peut voir l'environnement de bureau GNOME, à gauche Amberol, un lecteur de musique, et à droite Foliate, un lecteur d'ePub ouvert sur un livre d'Anthony Giddens (pour mes études). Le fond d'écran est bleu nuit, traversé en diagonale par les bandes du drapeau trans, recouvert d'une molécule d'estradiol (en [représentation de Cram](https://fr.wikipedia.org/wiki/Repr%C3%A9sentation_des_mol%C3%A9cules), en rose).

Linux étant (largement) plus sécurisé que Windows, même s'il est évidemment conseillé de faire ses mises à jour le plus tôt possible, on peut les repousser de quelques semaines sans courir un grand risque, à l'inverse de Windows, qui impose les siennes pour ne pas être perçu comme une menace pour l'ensemble de l'internet. À l'exception des mises à jour majeures, qui prennent environ 40 minutes une fois tous les six mois, les mises à jour de routine prennent environ 5 minutes, montre en main. On peut également choisir des distributions dites « stables » pour ne recevoir que les mises à jour de sécurité et donc ne faire qu'une mise à jour toutes les une à deux semaines, au prix d'un certain délai pour recevoir les dernières fonctionnalités…

C'est sans engagement

Ok, la communication de la FSF est une catastrophe, je pense personnellement, avec une expérience syndicale, qu'il est stupide de mettre des jugements moraux dans ses communiqués, campagnes, etc. car nos audiences font, par définition, partie de notre camp social et ont leur propre sens moral. L'intelligence ne consiste pas plus à dire que la constante de gravitation universelle (G) vaudrait 42 qu'à relativiser le droit à l'avortement (formes d'intelligence communautaire individuelle, « morale », et collective, « éthique »). Tout travail de communication politique consiste à fournir à nos audiences des informations pouvant leur manquer pour faire certains choix, mais en aucun cas à leur dire que faire de ces informations.

C'est important car on peut trouver nombre de libristes considérant qu'installer Linux serait un engagement, un « mariage », ou une traversée du désert, et de manière plus générale les libristes sont souvent complètement hors-sol, du point de vue des logiciels libres en tant que lutte sociale. En réalité, vous pouvez sauvegarder vos fichiers très facilement grâce à Syncthing, puis installer Linux pendant quelques semaines, pour voir si vous pouvez vous débrouiller sans les programmes propriétaires exclusifs à Windows et si votre ordinateur a une bonne compatibilité1, et revenir à Windows le cas échéant. Je considère que pouvoir utiliser des programmes propriétaires fait partie des libertés des utilisataires de logiciels et donc des valeurs des logiciels libres (mais la FSF ne sera pas d'accord, confondant des positions claires et la liberté de ne pas utiliser de logiciels propriétaires, sur Guix par exemple, avec une radicalité défaitiste et hors-sol2).

La vision de l'installation d'une distribution comme une sorte d'engagement irréversible (alors qu'on peut revenir à Windows n'importe quand) est sans doute la première raison pour laquelle on ne parle pas de Linux au Biocoop ou même en repas de famille, entre un intérêt pour le régime alimentaire de la cousine végane (« et donc, tu remplaces les œufs par des pommes ? ») et les analyses de mamie. C'est sans doute dû à l'idée qu'il serait compliqué de sauvegarder ses fichiers alors que Syncthing permet de le faire sur son propre matériel, sur le réseau wifi local, sans fil, et de manière automatique (il suffit de lancer le programme sur les appareils à synchroniser alors qu'ils sont connectés au même réseau wifi). De la sorte, il m'arrive de vérifier que mes fichiers sont bien synchronisés avant d'installer Guix ou OpenBSD pour tester, ou même en fonction de mes besoins de sécurité (par exemple, pour moi il est hors de question de garder des enregistrements d'entretiens sous Windows, c'est même illégal). Puis il me suffira de re-synchroniser mes appareils et de récupérer mes sauvegardes pour relancer la synchronisation.

C'est moins cher et plus écolo

Le modèle économique de Microsoft est de vendre des logiciels, qui plus est tout à fait médiocres et à travers des politiques de concurrence déloyale. Microsoft a deux modèles de licences pour Windows, soit les constructeurs d'ordinateurs signent un contrat d'exclusivité pour Windows et vendent des licences OEM pour environ 15€/licence (ce qui est illégal), soit ils ne le signent pas, peuvent vendre des ordinateurs sous Linux, et paient environ 150€/licence3. En d'autres termes, Microsoft touche de l'argent sur chaque vente d'ordinateur sous Windows, ce qui explique par exemple l'imposition de processeurs récents, avec TPM 1.2, pour Windows 10, qui a généré, de mémoire, 12 millions de tonnes de gaz à effet de serre.

Forcer à acheter de nouveaux ordinateurs, c'est aussi forcer à payer pour des terres rares, et donc à financer des seigneurs de guerre et donc des enfants soldats, mais aussi épuiser les ressources dont on a besoin pour l'infrastructure de l'internet. Pour la plupart des gens, l'internet n'a pas plus de valeur que les contenus qu'iels consomment sur Instagram, mais c'est avant tout une technologie aussi révolutionnaire que l'imprimerie le fut à son époque, et comme l'imprimerie il permettra une révolution politique, cette fois-ci non-violente, en catalysant et favorisant le passage à une économie coopérative, où les travailleur·euses co-dirigeront leurs entreprises. Ce n'est rien de moins que le dépassement dialectique des relations patronat-travail appelé de ses vœux par Marx, sans armée, sans violence. Ce basculement, soutenu par un rapport du Sénat français, impliquera un sérieux coup porté au racisme systémique, au patriarcat, au validisme, etc. : on sera toujours confronté·es à des rapports entre groupes établis et étrangers, mais les gens veulent intégrer ces derniers et y ont tout intérêt, par exemple dans le premier chapitre de « Chronique des Indiens guayaki » (Clastres, 1972), l'auteur rend compte d'une alliance entre deux groupes d'Indiens, à travers un mariage. Les gens veulent s'associer.

Bref, installer Linux est une démarche de décroissance parmi d'autres, avec éventuellement un abonnement à Enercoop, l'agriculture biologique, les coopératives, la construction d'alternatives aux ISC, les fripes, le vélotaff, etc.

Les systèmes d'exploitation propriétaires deviennent également, de plus en plus ouvertement, des systèmes de surveillance de leurs utilisataires, à l'inverse il n'y a rien de tel dans Fedora ou Linux Mint, on a le code source et on peut « facilement » vérifier que les systèmes d'exploitation que l'on télécharge y correspondent par la reproductibilité des processus de compilation. À titre de comparaison, mettre un appareil Linux sous écoute représente donc une faille de sécurité d'un type rare et rapidement corrigé, à plusieurs millions d'euros, tandis que mettre un appareil Windows représente une requête auprès de la cour FISA, pour quelques (dizaines de) milliers d'euros ; des États comme la France en font plusieurs milliers par an. (Des failles de sécurité permettant une escalade de privilèges racine à distance sont rarissimes, il y en a environ une par décennie, elles font partie de la culture locale, elles ont des petits noms.) Utiliser Linux permet aussi d'être à peu près sûr·e que l'on peut consommer les médias que l'on souhaite sans être surveillé·e, par exemple via le navigateur Tor ; il est tellement compliqué de faire surveiller un système d'exploitation libre que la directive ChatControl (avant tout une affaire de corruption) exclut les projets libres et non-commerciaux de l'obligation d'implémenter leurs algorithmes. Linux est partout, sans exception, et sans Linux, pas d'économie numérique.

Installer Linux est également une question de santé publique, notamment car le fondateur de Microsoft est un chic type ayant utilisé sa fondation pour garder les remèdes contre le Sida, puis contre le Covid, brevetés, ce qui en a privé de nombreux États en voie de développement. (Évidemment, les médias bourgeois n'ont pas parlé du fait que Cuba avait développé cinq vaccins libres de droits contre le Covid.)

Pour les relations familiales

Linux fournit un environnement numérique sûr, en particulier concernant des jeunes cherchant un échappatoire dans l'informatique. De toute façon, si ce n'est pas l'informatique, ce sera les jeux vidéo, la drogue, l'alcool, ou les jeux d'argent ; parfois même, certains jeux vidéo (comme Wakfu les Gardiens, en lien avec le dessin animé diffusé sur Salut les Zouzous !) intègrent des jeux d'argent dans une devise fictive, pour récupérer des loots, donc de toute façon les parents doivent faire attention aux usages numériques de leurs enfants. Autant les libristes sont souvent hors-sol et racontent n'importe quoi sur les luttes sociales, autant le fait de privilégier F-Droid sur mon téléphone m'a évité de devoir gérer ce sentiment de danger auto-entretenu que l'on peut avoir dans les grandes surfaces, entre les rayons pâtisserie flanquant les fruits et légumes et les diffuseurs d'odeurs, soit autant d'incitations à consommer, justement en consommant, ce qui nous fait évidemment entrer dans un cercle vicieux – il en va de même concernant les marchés d'applications. Tout n'y est pas parfait, on y retrouve ProtonMail et ProtonVPN, mais les utilisataires y sont largement moins marchandisé·es que sur le Play Store ; de même, un·e adolescent·e utilisant Fedora sera plus facilement amené·e à discuter via des affordances plutôt saines, comme IRC ou XMPP, que via Twitter4, par exemple j'ai créé le mien à travers une « intégration » dans iOS 5… qui n'a jamais apporté la moindre fonctionnalité. Si des parents peuvent éviter à leurs enfants de tomber dans une idéologie hors-sol de boycott et de refus du « compromis » – qui n'est qu'une forme de compromission des objectifs politiques des libristes –, alors installer Linux peut être l'occasion de discussions apaisées, fondées dans le monde réel, autour des usages des ordinateurs ; les jeunes ayant de toute façon un pied dans le numérique, ça fournira des sujets de discussion et ça sera l'occasion de montrer son intérêt pour ce qui leur importe, tout en leur évitant de tomber dans des institutions totales (Goffman, 1961), c'est-à-dire d'assouvir leur besoin d'échappatoire dans des communautés isolant culturellement leurs membres de notre société différenciée.

Conclusion

Linux représente aujourd'hui une meilleure expérience utilisataire que Windows et comparable à celle de macOS, de manière plus soutenable, dans une démarche de décroissance et de défense de principes aussi fondamentaux que la liberté d'expression et le droit aux correspondances privées. C'est un processus totalement réversible : en fonction des logiciels dont on peut avoir besoin, on peut décider en famille de tester Linux pendant quelques temps, en réalisant des sauvegardes via Syncthing, en sachant que l'on peut revenir à Windows en fonction de nos besoins. Cela peut donner à nos adolescent·es le sentiment d'être écouté·es tout en permettant de discuter des usages numériques, sur des bases saines.

Références

Clastres P., 1972, Chronique des indiens guayaki: ce que savent les aché, chasseurs nomades du paraguay, Paris, Plon (Terre humaine). Goffman E., 1961, Asiles. étude sur la condition sociale des malades mentaux, Éditions de Minuit (Le sens commun), 452 p.

1 Je veux bien évidemment parler de nVidia, leurs cartes graphiques créent des glitches visuels. Si vous avez besoin d'une carte graphique sous Linux, prenez une carte AMD. 2 La FSF n'est pas responsable de la moitié du problème. L'environnement médiatique dans lequel les libristes s'informent et communiquent, les institutions « socio-capitalistes », en font largement partie. 3 Je ne suis pas sûre des chiffres exacts, mais on m'a dit que c'était dans cet ordre de grandeur. 4 J'ai déjà mis ce lien concernant ProtonMail/ProtonVPN, c'est normal, une arnaque sur le long terme, via une institution, semble fatalement être en réalité de la maltraitance.

C'est le 11ème billet du défi #100DaysToOffload. 100DaysToOffload.com


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Quand j'étais petite, j'admets avoir trouvé le concept d'Azkaban séduisant : privés de leurs pouvoirs, les sorciers les plus infâmes et les plus dangereux étaient retenus prisonniers par la solide prison d'Azkaban, torturés (de manière totalement fictive) par les détraqueurs, qui les plongeaient dans le désespoir et les rendaient fous, neutralisant leur volonté/capacité mentale même de se rebeller. Si ce modèle vous évoque les prisons supermax de l'Organisation des États-Unis (OÉU, l'organisation terroriste et militaire occupant les territoires des Premières Nations), ou les quartiers d'isolement des prisons/CRA français, c'est sans doute car ces modèles sont conçus pour satisfaire les mêmes fantasmes, mais pour les mêmes raisons je voudrais surtout parler ici des thérapies de conversion. Comme les détraqueurs, les thérapies de conversion et la transphobie font plonger dans la dépression, et rendent psychotique. Comme les détraqueurs, on y retrouve une idée de justice immanente, « organique », inscrite dans la chair des individus, littéralement en ce qui concerne les tatouages de Sirius Black, le parrain de Harry Potter. Enfin, rappelons que les détraqueurs peuvent enlever leurs cagoules et aspirer les âmes de leurs victimes par une bouche dépourvue de dents, sur ordre du Ministère de la magie, c'est-à-dire en tant que bourreaux surnaturels, sous la forme d'une destruction non de la chair de l'individu mais de son « essence », et sans passer par un juge : c'est le « baiser du détraqueur ». Les propos et actes de Rowling sur les 5 dernières années montrent que ce n'était pas une crainte, c'était, là aussi, un fantasme.

On y retrouve une idée de renversement normatif total : je suis persuadée qu'un prédateur que j'ai hébergé me faisait du mal notamment car il avait besoin d'attention, et car la seule manière de surmonter sa honte et sa vulnérabilité de ce point de vue était de me manipuler et de me faire du mal, volontairement. Il y avait sans doute un aspect jubilatoire et libérateur, vis-à-vis des conditionnements sociaux qui l'amenaient à cette honte d'exprimer des besoins, somme toute, tout à fait normaux. De même, je crois que le torture porn pourrait être un renversement normatif total : il est absolument immonde et infâme de torturer des personnes mineures car elles sont LGBTQIA+, de les plonger dans la dépression, de les forcer à rester dans le placard et à vivre une vie malheureuse, misérable. Mais par la contention totale de nos adelphes, en s'appuyant sans doute sur le caractère essentialisant de l'assignation nominale, par la (quasi-)toute-puissance parentale, qui va jusqu'à la maltraitance d'État, des fascistes et des Terfs comme Rowling voient dans ces actes de maltraitance médicale la prolongation du fantasme d'Azkaban, comme des êtres humains préhistoriques enterraient eux-mêmes des êtres humains vivants.

Peut-être ces noires cérémonies ont-elles en commun avec Azkaban et le torture porn la maltraitance totale d'individus ou de groupes d'individus, ce qui symboliserait un renversement du réseau de maltraitance de classe pesant sur tout groupe social vivant avec des ressources médiocres : ces fascistes se sentiraient alors contrôler, organiser, distribuer cette maltraitance nominale et essentialisante d'État.


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TW : défenestration

En rentrant de chez ma mère dimanche dernier, j'entends un cri éraillé, à pleins poumons, une mère qui « sort » (ça vient du ventre, c'est irréfléchi) « Mais qu'est-ce que tu as fait ? ». Je vois une jeune fille tituber, tenter de se relever, soutenue par des passant·es, et s'asseoir contre un mur. La mère explique, sans réfléchir, c'est son corps qui s'exprime, qu'elle ne voulait pas que sa fille sorte dans cet état. Donc elle a sauté par la fenêtre. Ça m'a ramené à ce fait simple, qui me hante depuis mes 15 ans : on ne peut pas empêcher une personne malade de se faire du mal. On peut la soutenir dans sa lutte contre la maladie, on peut être présent·e pour elle, on peut la conseiller, mais on ne peut pas l'empêcher physiquement de se faire du mal. Ça ne résout jamais le problème.

Je ne sais pas exactement comment empêcher ce genre de comportements, mais c'est ce qu'on appelle la pair-aidance. Par exemple, le Vinatier a un dispositif pour les proches de personnes malades, le Clap. En revanche, je sais que la pulsion peut monter graduellement pendant plusieurs jours et qu'un proche non-formé peut s'en rendre compte trop tard. Je l'ai vécu en tant que personne malade, et je l'ai fait en tant que proche : la culpabilisation, la dramatisation, prendre le matériel dont la personne a besoin, etc. augmentent l'intensité des prochaines crises, le désir d'assouvir son addiction ou sa pulsion (parfois d'autodestruction). Renseignez-vous sur la pair-aidance si vous voulez soutenir un proche malade face à ces crises. Mais il est impossible et contre-productif d'empêcher physiquement une personne malade de se faire du mal.

Souvent on est un peu terrorisé·e par ce comportement irrationnel, ce désir de s'autodétruire, et on le traite comme une décision, on tente d'aider la personne malade à prendre la « bonne décision » ou de l'empêcher de prendre la « mauvaise ». Mais c'est justement une pulsion irrationnelle, une maladie mentale : elle sait que ce qu'elle va faire est mal, et elle lutte contre, de son mieux… Ce n'est généralement pas une décision. Cela peut en passer par d'autres, qui peuvent être raisonnées, ces personnes peuvent et souhaitent alors être conseillées, mais cela implique une écoute attentive, régulière, soutenue, sur le long terme (Illouz, 2006) ; de l'empathie ; il arrive aussi que se faire du mal, s'autodétruire n'en passe par aucune. C'est au cas par cas : des fois c'est possible, des fois ça ne l'est pas. La tendance inverse est de traiter chaque « crise » comme une série ou comme le résultat de mauvaises décisions, ce qui est bien évidemment faux, cela ne conduira qu'à la maltraitance de la personne malade. C'est pour ça que je préfère adopter une posture d'observatrice, au lieu de chercher absolument à faire quelque chose et à empêcher la personne de se faire du mal. Il vaut mieux alors dédramatiser, prendre soin de la personne malade, par exemple la mettre dans un plaid et lui proposer de regarder une série ; bref, la rassurer comme on rassurerait à peu près n'importe quelle personne ayant vécu une situation traumatisante et pouvant par-dessus le marché se sentir coupable.

Références

Illouz E., 2006, Les sentiments du capitalisme, Paris, Seuil.


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